Transition énergétique : l’État va-t-il enfin prendre ses responsabilités?

Septembre 2013

    Le débat national sur la transition énergétique engagé en janvier dernier s’est clos en juillet sur une synthèse a minima qui devra servir de base à une loi sur l’Energie qui, de manière inquiétante, vient d’être reportée en 2014. Malgré quelques avancées, notamment la construction d’un socle de chiffres et de connaissances partagées et le dépassement de la seule question du nucléaire, ce débat laisse craindre une nouvelle fois une volonté politique bien insuffisante, malgré l’enjeu, par rapport aux pressions exercées par les lobbies industriels.
    Ainsi, les quinze « recommandations » issues du débat ont été déclassées en « enjeux » par une exigence du Medef, qui montre ainsi sa volonté de refuser toute contrainte. Sur l’enjeu majeur de réduction de la consommation, le Medef s’oppose à un engagement de réduction de 50% d’ici 2050, qui sous-tendait pourtant l’engagement international de la France de réduction de gaz à effet de serre d’un facteur 4 à cette échéance (1), objectif qu’on sait aujourd’hui insuffisant. Le Medef voudrait se contenter d’une réduction de 20%, alors que le rapport du GIEC (Groupe d’Experts intergouvernemental sur l’évolution du Climat) montre un durcissement des prévisions précédentes, déjà pourtant très alarmistes.
    A nom de la supposée compétitivité des entreprises, le Medef cherche non seulement à entraver les réductions de consommation, mais également à empêcher toute réduction de la part du nucléaire et à imposer les gaz de schiste dont on sait – en plus des risques écologiques induits par la fracturation hydraulique – qu’ils génèrent du gaz à effet de serre.
    Le débat national a le mérite de constituer un socle de connaissances partagées qui peut, et devra, servir de base pour faire avancer le débat « citoyen » sur cette transition. Certains points semblent faire consensus : la rénovation des bâtiments (le chiffre de 500 000 logements par an est avancé), l’augmentation de la production renouvelable (de 30 à 40% dans la production d’électricité en 2030), le développement de « services partagés » pour les voitures et une réduction de la vitesse.
    Mais quels seront les moyens mis en oeuvre pour que cela ne demeure pas des voeux pieux, comme tant d’engagements environnementaux par le passé ?
    Chacun s’accorde sur l’urgence écologique. Pourtant, aucun signe fort du Gouvernement ne permet d’espérer une autre logique que celle dans laquelle la finance prévaut, une logique qui serait guidée par l’intérêt général.
    Ainsi, la rénovation des bâtiments est déclarée « objectif prioritaire de la transition énergétique » (les bâtiments représentent 44% de la consommation électrique totale) : pourquoi, alors, le Gouvernement ne décide-t-il pas d’un grand investissement public ? Un tel investissement serait rentable à long terme, créerait de l’emploi utile, participerait à relancer l’Économie. L’Etat pourrait se rembourser sur les économies d’énergie à long terme faites par l’usager (qui continuerait, lui, à payer sa facture sur la base de consommation d’avant travaux, jusqu’à remboursement de l’emprunt). Le contrat serait attaché au logement, pour ne pas être remis en cause en cas de changement de propriétaire/locataire. Ce mécanisme ne nécessiterait pas d’investissement ni de frais supplémentaire pour les locataires et les propriétaires (à l’image de ce qui se fait pour les panneaux photovoltaïques en France, mais par des organismes privés, ou pour les travaux d’isolation en Grande Bretagne avec le « Green Deal »).
    Le Gouvernement pourrait choisir de développer une filière publique sur les métiers de l’isolation, avec des formations adaptées, au lieu de regretter un manque de formation, un manque de coordination, un manque de volonté des usagers pour isoler leurs maisons, et de limiter son ambition à tenter de « simplifier » un dispositif d’aides en effet fort complexe.
Que l’on ne nous dise pas que l’État n’en a pas les moyens : création monétaire, utilisation de l'épargne des ménages au travers d'un livret « isolation » sur le principe du livret A, etc. sont autant de solutions possibles, à condition de sortir de cette logique qui voudrait que la crise conduise inéluctablement à réduire les dépenses publiques, le chômage appelant ainsi le chômage, indéfiniment.
    Au final, un service public de la rénovation de qualité, en grande partie décentralisé, serait bien plus efficace et moins cher que de laisser faire le marché et les grandes entreprises du BTP : meilleure maîtrise des coûts et de la qualité, possibilité de planification des travaux et d’organisation du secteur, meilleures conditions de travail pour les salariés, emplois stables, etc.
    Mais de manière dogmatique, le Gouvernement, derrière l’Europe, en reste à laisser faire le marché. Il se heurte donc inévitablement à des problèmes inextricables : incapacité de financer des projets qui ne sont rentables que sur le long terme, incapacité à former massivement les acteurs de la filière, à organiser à grande échelle un secteur, multiplication d’aides en tous genres qui coûtent cher au final et rebutent les usagers.

Finalement, ce débat laisse l’impression terrible que tous les bilans les plus alarmistes et les moins contestables, comme le tout dernier rapport du GIEC, ne peuvent rien contre les puissances de l’argent. Ainsi, un rapport de la Commission Européenne publié en 2005 (2) estime à 348 000 le nombre de décès prématurés par an en Europe (dans la population de plus de 30 ans), et 42 000 en France, du fait de la pollution atmosphérique liée aux particules fines. Le rôle du diesel est incontestable dans cette catastrophe annoncée, même s’il n’est pas la seule cause. Le Gouvernement interdit-il le diesel pour autant ? Prend-il des mesures pour diminuer de manière conséquente le transport par camions ? Non. Il laisse de répéter, peut-être à bien plus grande échelle, un scandale du type de celui de l’amiante. Il ne pourra pas dire qu’il ne savait pas…

Comment lutter contre ces lobbies qui imposent leurs règles envers et contre tous, si ce n’est en imposant un réel débat démocratique sur le sujet, conclu que par un référendum?

Notes :

  • (1) Issu de la position de la France au sein du protocole de Kyoto et inscrit dans la loi française dès 2005 (loi POPE), réaffirmé en 2009 dans la loi Grenelle 1, puis transposé dans le Code de l’Énergie.
  • (2) Rapport CAFE CBA : Baseline analysis 2000 to 2020 sur la pollution atmosphérique

Extrait du bulletin de SUD Energie – EDF R&D d'octobre 2013