Enquête parlementaire sur l’eau – Audition des organisations syndicales du 20 mai 2021 – Propos liminaires SUD-Énergie

Rappel des enjeux
Les barrages hydroélectriques sont des ouvrages hautement stratégiques et sensibles. La mise en concurrence des concessions sur ces ouvrages pose des risques majeurs que nous dénonçons depuis longtemps.

Pour résumer :
1) Ils stockent 75% des eaux de surface, dont les usages sont multiples (production électrique, irrigation, pêche, etc.). Cette ressource, déjà en tension, est appelée à se raréfier avec le réchauffement climatique, alors que les usages vont croître. Ainsi, l’étude Explore 2070 du ministère de l’Ecologie indique que les débits d’étiage sur nos rivières équipées pourraient baisser de 40 à 70% d’ici 2050. Les conflits d’usage vont
se multiplier, comme en Espagne. Confier cette ressource si sensible, ce bien commun à des intérêts privés conduirait à mettre notre souveraineté et notre avenir entre leurs mains en leur donnant un pouvoir de négociation et de pression énorme.

2) Les barrages comptent parmi les ouvrages les plus dangereux qui soient. EDF n’a connu aucune rupture de barrage, heureusement. Mais dans le monde, ces ruptures sont en nette augmentation en raison de la course à la rentabilité. EDF est une référence mondiale en matière de sûreté, l’entreprise dispose de la plus grande expérience en nb barrages * nb d’années d’exploitation. Disperser les données, les compétences et mettre les équipes sous pression financière constituerait une dégradation des conditions de sûreté.

3) Les barrages sont essentiels à l’équilibre du système électrique, car ils constituent le moyen quasi-exclusif de stockage d’électricité à grande échelle actuellement et ils sont mobilisables très rapidement. Cela les rend précieux notamment pour l’intégration du solaire et de l’éolien. Pour une gestion optimale, le parc de production doit être piloté de manière intégrée. Eclater ce parc entre de multiples acteurs coordonnés par un marché induit des coûts de transaction importants et désoptimise son exploitation, la
rendant plus coûteuse et moins fiable.

4) Enfin, les barrages nécessitent des investissements de long terme pour lesquels le coût de financement est un paramètre essentiel. Les exigences de rémunération du privé et l’introduction de risques font flamber ces coûts de financement, donc les prix.

Penser que des contrats de concession pourraient protéger contre ces risques est illusoire.
Les exemples qui démontrent le contraire sont multiples, à commencer par ce qui vous intéresse de près : la gestion des réseaux d’eau potable.

Il est impossible de tout prévoir dans des contrats qui courent sur 30 ou 40 ans, d’autant plus sur un secteur aussi complexe et aussi évolutif du fait du réchauffement climatique et de la transition énergétique. A titre d’exemple, 90% des usages réservés de l’eau n’étaient pas prévus dans les contrats de concession d’EDF. Cela donnerait lieu à des avenants coûteux pour la collectivité puisque celle-ci serait pieds et poings liés avec le concessionnaire. Mais cela conduirait également à des sous-investissements préjudiciables à la sûreté et à la préservation de l’environnement, dans les installations, la R&D, dans l’ingénierie.

Le déjà là :

Ces dérives sont déjà constatées depuis la libéralisation du secteur électrique. Nous pourrons y revenir…

Absence de justification

Face à ces risques, aucun argument sérieux justifiant d’un quelconque avantage pour le citoyen d’une mise en concurrence n’a jamais été apportée.

Une prise de conscience

Nous avons mené, aux côtés d’élus, de journalistes, d’organisations syndicales, un travail de mise en lumière de ces enjeux et risques qui semble avoir porté puisqu’aujourd’hui, le gouvernement affirme que nos barrages doivent être protégés d’une mise en concurrence.

La quasi-régie prévue par Hercule

Dans le cadre du projet Hercule, les barrages seraient protégés par une quasi-régie. Effectivement, si le droit européen impose un marché de l’électricité, il prévoit des exceptions à l’obligation de concurrence. Notre lecture des textes et nos échanges avec la commission européenne nous font penser que la quasi-régie ou la régie, c’est-à-dire une entité 100%
publique dédiée à 80% à cette activité, permettrait d’éviter une mise en concurrence.

Si cela est confirmé, cette solution représenterait une avancée par rapport à la situation actuelle mais poserait deux types de problèmes :

  1. Elle ne résoudrait pas le cas des concessions déjà gérées par des acteurs privés, représentant environ 1/3 de la production hydroélectrique ;
  2. Elle conduirait à isoler l’hydraulique du reste du parc pilotable.

Chantage et nécessaire Plan B

Enfin, le plan Hercule pose bien d’autres problèmes et marque une étape de plus dans un processus délétère de mise en concurrence et de privatisation du secteur électrique. Il est donc inacceptable.
Or la Direction d’EDF se fait l’écho d’un chantage intolérable : si nous refusons Hercule, les concessions hydroélectriques retomberont sous le coup d’une obligation de mise en concurrence. Elle nous dit ne pas avoir de plan B pour les barrages en cas d’échec d’Hercule.

Il est donc essentiel que vous, élus, prévoyez ce plan B et nous nous tenons à votre disposition pour vous apporter notre aide.

Pour nous, il est clair que l’exploitation de tous les barrages doit redevenir publique.

Au-delà de l’hydroélectricité, les députés doivent s’emparer de la question de la gouvernance et de la propriété du système énergétique. C’est un secteur stratégique, essentiel pour la vie de chacun et pour la transition écologique. Nous devons tirer un bilan de 20 ans de mise en concurrence, ne nous satisfaire ni d’Hercule ni du statu quo et construire un service public de l’énergie à même de répondre à l’urgence climatique et sociale.