32h : Travailler moins pour vivre mieux

Sur la réduction du temps de travail à EDF R&D

À SUD Énergie, nous défendons une vision de la société où le travail salarié tel que nous le connaissons prendrait moins de place dans une vie, qu’il soit question d’âge de départ à la retraite, de congés payés, etc. Les raisons sont multiples : plus de temps pour d’autres pans de la vie (politique, domestique, associatif…), dans une démarche de sobriété, pour partager l’emploi, pour notre santé… (voir détails à la fin)

Dans cette optique, pour cette fin d’année, nous vous proposons de mettre au centre de vos conversations la Réduction Collective du Temps de Travail (RCTT) à 32h. C’est le moment parfait pour y réfléchir, l’annoncer à votre hiérarchie pour que cela soit pris en compte dans les matrices, pour une mise en place effective à partir de mai 2026 ! Au vu des différentes tentatives de limiter ce conquis social, profitez-en au plus vite !

Pour nous, l’objectif est double : vous informer sur vos droits, et vous encourager à passer aux 32h pour participer à un autre modèle de société. Et même triple : rappeler qu’il faut continuer à se battre pour préserver la RCTT à 32h, qu’elle soit accompagnée d’embauches massives, et continuer le progrès dans l’organisation du travail.

À noter malheureusement que les avantages de la RCTT ne concernent que les agent·es : cela exclut donc les étudiant·es (stages, alternances, thèses), les filiales, les prestataires… Ne sont pas concernées non plus les agent·es qui ont opté en 2016 pour le Forfait Jour irréversible en échange de 2NR.

1) Rappels sur la RCTT à 32h

Entre incitations de la part de la direction et défauts d’information lors de l’embauche, nous rencontrons tous les jours des collègues qui ne connaissent pas ou mal la RCTT à 32h.

Le principe général est de travailler moins d’heures, mais en ne diminuant pas trop le salaire.

Comme son nom l’indique, il s’agit de travailler 32h par semaine, sur la base de journées de 8h. Naturellement, on pense tout de suite à la semaine de 4 jours. C’est en effet la base des formules proposées sur la fiche horaire (section 3.2), mais celles-ci offrent une grande flexibilité : vous pouvez stocker votre Jour Non Travaillé (JNT) par semaine (jusqu’à 12 jours) pour le poser plus tard. Exemple : faire des semaines de 5 jours, mais avoir toutes les vacances scolaires (avec plus de 6 semaines en été).

Et au lieu que la paie soit au prorata (soit 32/35ème), à cela s’ajoute une Aide à la Réduction du Temps de Travail (ARTT) équivalente à 2/35ème, en contrepartie d’un engagement de 3 ans.

De plus, si vous choisissez de cotiser pour la retraite sur la base d’un salaire à temps plein, EDF prend à sa charge les surcotisations patronales pendant les 7 premières années (seulement pour les personnes sous le régime spécial de retraite IEG, d’après le formulaire pour changer de temps de travail).

2) Comparaison des contrats (RCTT 32h, Forfait Jour, 35h, …)

Lors de la mise en place du Forfait Jour (FJ), la direction s’est évertuée à vanter ses avantages financiers.

Or, une journée de travail en RCTT est mieux rémunérée qu’en FJ !

Bien sûr, comme en RCTT vous travaillez environ 30 jours de moins par an (179 jours contre les 209 du FJ de référence), vous gagnerez moins d’argent : environ 9% de votre rémunération brute annuelle.  Cela peut être rédhibitoire pour les personnes en bas de la grille des salaires, qui est trop inégalitaire. Mais si l’on regarde à nombre égal de jours travaillés, on peut comparer à la formule FJ qui est pile à 179 jours : la RCTT offre une rémunération 5.7% supérieure (quel que soit votre NR).

Autre dimension cruciale : en RCTT il y a une obligation de moyens (le nombre d’heures travaillées) comparée à une obligation de résultats en FJ (les objectifs « négociés » chaque année). Vous repasseriez d’un contrat individuel en FJ, à une défense collective pour la RCTT.

Enfin, rappelons que seul·es les cadres sont concerné·es par le FJ. Si vous êtes en maîtrise ou exécution, la RCTT peut se résumer ainsi : travailler à 91% et être payé·e à 97% d’un temps plein à 35h.

3) Démarche pour passer aux 32h

  • Vous pouvez en parler à votre manager au moment de faire les ordonnancements, afin de faciliter la prise en compte de votre nombre moindre de jours travaillés.

Au moins 2 mois avant le terme de la convention FJ (30 avril), soit d’ici fin février. À noter que les personnes sur l’accord 99 (35h ou temps choisi), notamment celles en maitrise et exécution, n’ont pas de contrainte de calendrier :

  • Remplir la fiche horaire : horaires, formule pour les JNT, prime et cotisation
  • Faire signer cette fiche par votre manager ;
  • Déposer la fiche via une demande RH pour changer de temps de travail.

4) Comparaison des contrats (suite)

Pour dire autrement les écarts en termes de rémunération, les primes d’engagement (3.5%) et d’autonomie fixe (4%) du FJ ne suffisent pas à rattraper l’avantage de la RCTT. Sans parler de la prime d’autonomie variable, censée remplacer les jours de disponibilité (pour compenser investissement personnel, déplacements…) : l’écart se creuse avec. Concernant les différences de rémunérations entre RCTT et les 35h, pour plus de détails voir le pdf joint.

À noter malgré tout une moindre flexibilité en RCTT dans l’utilisation du CET en jours de congés : il faut poser minimum 2 mois de CET, tandis qu’il n’y a pas cette contrainte en FJ (dans la limite de 20 jours par an). En revanche, vous pourrez manipuler votre 13e mois de la même façon. Par exemple, si vous faites des semaines de 4 jours rigoureusement, il vous restera 5 semaines de congés, que vous pourrez compléter jusqu’à 4 semaines supplémentaires avec votre 13e mois. À l’inverse, si vous trouvez que vous avez trop de congés en RCTT, vous pourrez toujours mettre sur votre CET jusqu’à 7 Congés Annuels (CA), 6 JNT par an (soumis à validation hiérarchique), congés d’ancienneté, repos compensateur… (voir ce document synthétique)

Question pratique, sachez que la RCTT à 32h suit l’année calendaire, et non des périodes de mai à mai comme au FJ. Ainsi, les CA seront alimentés tous les 1er janvier. De plus, à noter cet avantage supplémentaire qu’offre la RCTT à 32h : il est possible de reporter jusqu’à 2 semaines de CA d’une année sur l’autre (soit 8 jours de 8h). Quant au stock de JNT, celui-ci est entièrement glissant d’une année sur l’autre !

Enfin, nous avons évoqué l’existence de plusieurs formules pour le FJ. C’est le cas aussi en forfait « horaire » (accord 99), où vous pouvez travailler moins que 32h : jusqu’à 17h30 par semaine (un mi-temps) avec une prime d’ARTT de 1 à 1.5%, soit moins que pour la RCTT à 32h (ces temps sont désignés par « temps choisis » au lieu de RCTT). Pour plus de détails, voir la page VEOL dédiée  et son Formulaire pour les salariés statutaires R&D accord 1999.

5) Petit historique à EDF

La RCTT fait partie de l’accord national de réduction du temps de travail en vigueur à EDF depuis le 25 janvier 1999, transposition de « la réforme des 35h » de la loi Aubry du 13 juin 1998, et décliné localement à la R&D en 2003. Cette réforme s’inscrit dans une dynamique de long terme de diminution du nombre moyen d’heures travaillées par salarié·e dans les économies développées, dans le but de partager le temps de travail et créer de l’emploi. EDF, alors encore une EPIC, a été à la pointe dans cette dynamique : au début, travailler aux 32h était la norme, avec tout de même la possibilité d’être aux 35h.

Puis EDF a petit à petit montré son envie de faire disparaître ce conquis social, comme à la DTG. L’arrivée du Forfait Jour à EDF en 2016 s’inscrit dans cette continuité. Rappelons que la première copie de la direction sur le FJ a été massivement rejetée fin 2015. Ce n’est qu’en rendant l’accord catégoriel, pour ne concerner plus que les cadres, que la direction a pu compter sur l’accord d’une proportion suffisante d’organisation syndicales représentatives, plus molles dans le collège cadre… Et ce malgré l’opposition majoritaire des salarié·es de la R&D (voir ce précédent article de SUD, ainsi que celui-ci). Alors, les cadres ont été fortement incité·es à passer de la RCTT au FJ, notamment de façon irréversible en échange de 2NR. Cela s’est traduit par une réduction de moitié de la proportion de l’effectif statutaire de la R&D en RCTT en un an, de 43.5% en 2015 à 22.2% en 2016. Depuis, cette proportion diminue continuellement (voir figure), certainement due au manque d’information : dénigrement ou absence de mention de la RCTT à l’arrivée des nouvelles personnes embauchées, dissymétrie de l’information par rapport au FJ (comparer les nombreux articles VEOL sur le FJ, par rapport aux deux seuls articles mentionnant la RCTT [1] et [2])…

Voici d’autres chiffres concernant la RCTT à la R&D en 2024 :

  • 19.3% des femmes statutaires sont en RCTT, contre 12,8% d’hommes (cet écart est plus grand encore lorsque l’on considère les temps choisis, de volumes horaires plus faibles)
  • La RCTT concerne 11% des cadres, 37 % des maîtrise, et 100% des exécution ;
  • En nombre absolu : 273 personnes en RCTT, contre 32 en temps choisi, et 47 en formule réduite de FJ ;
  • Par rapport aux autres directions d’EDF SA, la R&D reste l’une des moins pires élèves en termes de proportion de RCTT : à l’échelle d’EDF SA en 2023, 4.2% des femmes étaient en RCTT, et 1.9% des hommes.

6) Un peu de recul…

La question du temps de travail s’inscrit dans le temps long : du chemin a été parcouru depuis 200 ans, lorsque il n’y avait pas un seul jour de repos dans l’année et qu’on redoutait que 12h de travail par jour ferait couler l’économie, le tout valable aussi pour les enfants… Plus précisément, à l’échelle individuelle on travaille environ deux fois moins d’heures qu’en 1900, tandis qu’à l’échelle du pays la quantité de travail est au même niveau qu’il y a 70 ans (voir cet article). Comment cela se fait ? L’astuce réside dans un meilleur partage du travail. Par exemple, avec la réforme des 35h de 1998, de nombreux emplois ont été créés d’après un rapport parlementaire.

Pourtant une légende urbaine a réussi à imposer l’idée que cette mesure était à la racine des difficultés économiques de notre pays. Or, non, nous ne travaillons pas moins en France : nous sommes au-dessus de la moyenne européenne, et même dans le peloton de tête en termes de productivité (voir cet article). Quand bien même, depuis 20 ans les 35h ont été largement détricotées de tous les côtés sans relance économique. Et cette réforme n’a presque pas été appliquée aux cadres, dans la mesure où le gouvernement Jospin avait dans le même temps créé le fameux Forfait-Jour, contournement massif de la loi sur les 35 heures, dérogatoire au droit européen du travail…

Mais le patronat préfère gérer la baisse du temps de travail à coups d’explosion des temps partiels qui permettent de masquer la réalité de la chute de l’emploi et provoquent la paupérisation des salarié·es. C’était la méthode initiée par Schröder en Allemagne et reprise par Macron à son arrivée au pouvoir, avec le succès que l’on sait : des chiffres du chômage qui baissent mécaniquement, des salarié·es qui ne peuvent plus se nourrir, se soigner, se loger…

Pourtant, même en termes conventionnels de chômage et de productivité, la Réduction du Temps de Travail (RTT) est bénéfique, ce qu’ont révélé les nombreuses expériences à travers le monde. Mais il s’agit d’imposer au patronat de payer correctement ses salarié·es et de leur donner du temps à la fois pour leur famille mais aussi pour un certain nombre d’activités nécessaires à leur développement individuel et au maintien d’un ciment social qui en a bien besoin ! Participer à la vie associative, la vie politique, locale ou nationale, ou tout simplement ne rien faire, ce n’est pas un luxe pour les nantis. Or, tout cela comporte de multiples bénéfices. Du point de vue écologique, la RTT permet à la fois une réduction de la production en se posant la question de quoi nous avons vraiment besoin, et à la fois de réduire la consommation car il n’y a plus besoin d’aller à toute allure. Côté santé, cela permettrait d’éviter des accidents et des maladies, notamment psychologiques. Enfin, c’est aussi une mesure féministe afin de réduire l’écart en termes de temps de travail, que ce soit le travail rémunéré (inégalités de salaires) ou bien domestique (partage des tâches). Et une RTT de 32h par semaine n’est qu’un premier petit pas : il faudrait réduire d’avantage comme dans les romans d’Hadrien Klent (Paresse pour tous ; La vie est à nous), réfléchir à d’autres organisations du travail comme le salaire à vie de Bernard Friot

À notre sens le Forfait-Jour et le télétravail ne répondent pas suffisamment au besoin de pouvoir s’organiser des temps réguliers en dehors de l’entreprise. Nous encourageons donc nos collègues à s’emparer des facilités procurées par l’accord ARTT, dont les plus ancien·nes ont largement bénéficié. Nous pensons que cette évolution de la société est à la fois souhaitable et inéluctable, elle participe également à une forme de sobriété, à l’encontre du « travailler plus pour gagner plus » qui encourage une productivité et une compétitivité dont les dégâts environnementaux et psychologiques se lisent tout autour de nous.