FUKUSHIMA 10 ans après !

Témoignage et souvenirs d’un gars qui bosse dans le nucléaire.

L’accident

Voilà 10 ans, à Fukushima Dai-ichi, suite au passage du tsunami, les réacteurs 1 2 et 3 entraient en fusion, ainsi que la piscine de désactivation du réacteur 4. Ce jour-là, avec les collègues nous étions de service et notre première réaction a été de penser aux gars et aux filles qui font nos métiers.
On doit dire qu’on s’est trouvé bien seuls et nous suivions heure par heure, les images de ce que nous pensons tous ne jamais nous arriver. Nous savions et imaginions ce qui s’y passait. Je me souviens encore aujourd’hui m’être mis devant ces images en boucles durant des heures en rentrant du boulot alors que j’avais bossé toute la nuit.     
Des salariés étaient en train de lutter pour le bien de l’intérêt général. Des collègues de l’autre bout du monde étaient dans la tourmente. Celles et ceux dont personne ne parlait (un peu comme le pilote d’hélico de Dassault) alors que pour beaucoup, nous le savions, il y laisseraient leur vie ou leur santé.

Les travailleurs de Fukushima

J’ai eu la chance, quelques années plus tard, de rencontrer des militants travailleurs de la centrale de Fukushima. Par exemple, à ma droite sur cette photo, un salarié, retraité des services postaux s’étant porté volontaire pour travailler sur le site alors qu’il n’y était pas obligé. Quel incroyable engagement !
A ce moment, tu prends conscience que le sens de l’engagement, de l’attachement à l’intérêt collectif semble universels.                                                               
TEPCO, grand modèle d’EDF était pourtant le temple du toyotisme et se trouve être le modèle absolu de ceux qui rêvent un management « à la dure » . Mais l’adversité et l’esprit du collectif, toujours présents, redonnent espoir dans ce que les humains peuvent donner de meilleurs.         

La fierté des travailleurs et la honte des directions

Il y a peu, en 2019, je faisais une rencontre qui m’a profondément marqué.

Alors que le directeur de la centrale nucléaire où je bosse voulait m’en empêcher (Il a pour mission de mettre fin  à mes engagements syndicaux, c’est bien mal me connaitre que de penser pouvoir y arriver).
Je me suis donc rendu à une conférence-débat sur le nucléaire dont le thème était Fukushima. Cette soirée se déroulait à Grenoble et était organisée par mes camarades de UP ! (université populaire) de la DTG (unité d’ingénierie d’EDF Hydraulique).

Le premier ministre japonais NAOTO KAN (en exercice au moment de l’accident) était présent comme intervenant. Nous avons été présentés et j’en ai profité pour lui décrire l’empathie que j’ai ressentie avec mes collègues lors de l’accident. Je lui ai raconté que nous étions nombreux à ce moment en « communion » avec le Japon, nous savions assez précisément ce qui était en train de se jouer. Je lui expliquais l’importance des travailleurs du nucléaire, leur haut niveau de technicité, leur engagement et leur attachement à ce qu’ils font. Je lui disais la profonde inquiétude que nous ressentions en voyant de loin les images de pompes qui arrosaient directement les réacteurs à l’air libre. Bref, ne voulant pas lui « tenir la jambe » trop longtemps je l’ai remercié de m’avoir écouté et je m’en allais. Il m’a alors attrapé par le bras et il m’a dit (par l’intermédiaire de ses interprètes) : « moi aussi je veux vous remercier. Et je veux vous parler ».

« Comme vous avez raison sur la sincérité de l’engagement des travailleurs » me dit-il alors. « Vous n’imaginez pas le nombre de salariés volontaires qui sont revenus de leur repos ou de leurs congés, volontairement, parfois de loin ». Il m’explique le sens du sacrifice dont ils ont fait preuve et me dit avoir été tellement fier d’eux. Il avait donc compris exactement ce que j’ai tenté de lui décrire avec mes mots.         

Ensuite il m’a expliqué avoir été bien moins fier du comportement des directeurs du site (souvenez-vous, les modèles d’EDF à l’époque). « je vais vous raconter !» me dit-il d’un ton grave qu’on imaginerait sortir de la bouche d’un sumo avant de combattre.      « J’ai été obligé de prendre la décision de les réquisitionner pour les empêcher de s’enfuir ! Ce fût une décision difficile car c’était risqué sur place……mais ils voulaient déserter. Ils ne se sentaient pas responsables. »

10 ans après 

Aujourd’hui c’était donc l’occasion de raconter ce petit morceau de l’histoire d’un militant. Celle d’un gars dont l’engagement a pris une tournure différente ce jour-là. Celle d’une conviction : Les syndicalistes ont, selon moi, le devoir de s’engager bien au-delà des murs de la boite, de s’ouvrir au monde pour mieux le comprendre. Faire réaliser aux collègues la place qu’ils occupent dans la société bien au-delà de leur quotidien. L’importance à réfléchir en prenant du recul au-delà des préjugés pour changer notre société. Voilà l’ADN que je retrouve à SUD et SOLIDAIRES.

Un très cher ami, Georges Séguy (premier secrétaire de la CGT durant des années), aimait dire et répéter : « c’est bien beau de s’indigner comme le suggère mon copain Stephane Hessel, mais ce n’est pas suffisant ! ENSUITE IL FAUT S’ENGAGER ! ». Sur ce point, il avait parfaitement raison et cette suggestion est universelle.

Nous avons tous un rôle à jouer, je crois que le mien est d’être le plus longtemps possible, un militant de SUD énergie, un des rares syndicats du secteur à être ouvert aux débats et discussions sans aucune restriction ou sujet interdit…. De ces débats qui ouvrent l’esprit. Alors c’est sûr que ce n’est pas évident, les pronucléaires nous mettent dans la case des antinucléaires, et certains antinucléaires nous qualifient de nucléocrates.

Et si les intérêts des travailleurs et travailleuses du nucléaire se situaient ailleurs ?         

Et si nous refusions de se laisser enfermer dans des cases par ceux qui ne rêvent que d’une chose : qu’on ne se parle plus, qu’on se chamaille.             

Et si aujourd’hui, 10 ans après, les médias, plutôt que de dire que tout va bien, parlaient de la (seulement) petite soixantaine d’accidents du travail et maladies professionnelles reconnus par les autorités japonaises !

Et si les médias aujourd’hui pouvaient parler de la honte que représente ceux qui utilisent la vie des autres puis dissertent sur les bénéfices que cela peut engendrer.

Et si les médias parlaient de ces capitalistes qui reluquent les biens communs avec des dollars dans les yeux, ces assistés qui engrangent des milliards sans même travailler

………ET SI !

Jérôme