Salariés du nucléaire et Transition énergétique

Les prochaines années seront marquées par un investissement massif sur le parc nucléaire existant, avec un programme global de près de 100 Md€ d’ici à 2030 (Cf Cour des Comptes), dont 55 Mds € de dépenses d’investissement, dans un programme appelé « Grand Carénage » et des dépenses d’exploitation (opérations d’entretien).

Cela se traduit par des recrutements importants alors que le reste de l’entreprise est en réduction d’effectifs d’année en année (-3500 à 4000 postes en 3 ans). Par exemple, à la centrale de Belleville (Cher), l’effectif est passé de 550 à 800 personnes.

Pour autant, ces augmentations d’effectifs ne règlent pas les difficultés rencontrées par la filière et par ses salariés.

En premier lieu, les salariés manquent dramatiquement de visibilité sur leur avenir : des dépenses lourdes sont engagées alors que dans le même temps, la loi de Transition Energétique fixe un objectif de baisse de la part du nucléaire de 75 à 50% de la production d’ici 2025, ce qui devrait logiquement s’accompagner de la fermeture d’1/3 des centrales existantes. Et au-delà de ce que dit la Loi, la consommation est appelée à baisser, les énergies renouvelables se développent, donc la part du nucléaire va se réduire.

A cela s’ajoute une accumulation de problèmes techniques. Ainsi, les défauts détectés dans les cuves des réacteurs ont entraîné l’arrêt pour maintenance d’une dizaine de tranches : combien redémarreront ? Qu’en sera-t-il des autres ?

Or une transition énergétique réussie implique de l’anticipation, un plan de reconversion sur le long terme, que l’entreprise refuse d’envisager.

Les salariés du nucléaire ne sont pas arc-boutés à leur filière, mais ils souhaitent, très légitimement, avoir la perspective d’un emploi pérenne, avec un statut de qualité. Or dans le paysage énergétique actuel, le choix est entre un poste stable dans le nucléaire ou un emploi précaire hors du nucléaire, dans les autres filières.

En effet, plus ça va, plus EDF se concentre sur le nucléaire en France : cette filière représente aujourd’hui près de 90% de sa production (en 2015 : 89% nucléaire, 2,4% thermique, 6,6% hydraulique, 2% PV + éolien). Avec la fermeture progressive des centrales thermiques, l’ouverture à la concurrence des concessions hydrauliques, cette part risque encore d’augmenter.

De plus, la très petite partie d’Energie Renouvelabe d’EDF est gérée par une filiale, EDF EN, dont les salariés sont exclus du statut des Industries Electriques et Gazières. Les autres unités de production sont souvent détenues par de petites entreprises privées, très précaires. Ainsi, 14500 emplois ont été détruits dans la filière PV entre 2010 et 2012, du fait de la désorganisation du marché : difficile, dans ces conditions, de projeter une reconversion dans cette filière.

A cela s’ajoute un contexte très anxiogène, avec un marché totalement inopérant, qui produit des prix de marché bien en-deçà des coûts de production, et des rumeurs de difficultés financières de l’entreprise.

Autre problème, maintes fois soulevé : une organisation du travail totalement inadéquate, qui conduit à augmenter sans fin la part des salariés non opérationnels. Ainsi, les renforcements d’effectifs liés au « Grand Carénage » se font principalement dans cette catégorie. Il s’ensuit une bureaucratisation du travail, avec une multiplication des indicateurs, des procédures de contrôle, une taylorisation des tâches. Cela conduit à une perte de sens du travail, qui engendre non seulement de la souffrance, mais également des pertes de compétence et une détérioration des conditions de sûreté. Des collègues nous rapportent : « quand je vais faire une manip, je ne sais plus pourquoi je la fais. Je désapprend mon métier ».

La hiérarchie est de moins en moins technique et passe souvent de postes en postes tous les trois ans, avec l’objectif de faire carrière.

Enfin, s’ajoute à cela le problème récurrent d’une sous-traitance massive, dans laquelle les salariés peuvent – encore moins qu’ailleurs – s’exprimer.

En conclusion, la transition énergétique ne peut pas se faire dans de bonnes conditions sociales sans l’extension du statut des Industries Electriques et Gazières à toutes les filières de production, une réinternalisation des activités sous-traitées, une sortie du marché et une planification à long terme permettant des reconversions des salariés dans de bonnes conditions.

Notre combat principal doit porter principalement sur ces différents éléments.

Article paru dans le bulletin « Ecologie Solidaires – N°3 – Novembre 2016 » publié par la commission écologie de Solidaires.