RTE doit sortir de sa posture politique
et mener une évaluation sérieuse des différentes options

Communiqué SUD-Energie, 21 septembre 2023

Dans sa présentation du bilan prévisionnel 2023, RTE a pointé un « désalignement [pérenne] entre prix de marché et coût de production », sans perspective de réduction de cet écart entre prix et coût à moyen terme dans le cadre de marché actuel. RTE reconnait que cet écart fait peser « une incertitude préjudiciable au déclenchement des investissements », dans la production comme dans l’électrification des usages et la réindustrialisation.

Autant de constats que nous partageons et sur lesquels nous avons alerté de longue date (voir par exemple cette tribune dans Le Monde, et ce tableau de l’évolution des coûts du système électrique que nous avons mis en ligne.

RTE passe ensuite en revue les différentes solutions pour sortir de cette situation préjudiciable tant économiquement que sur les plans social etNotre bien commun, Services publics, les défendre et en créer de nouveaux !écologique.

  • Il démonte la « sortie » du marché européen, solution présentée comme simpliste, en reprenant point par point la désinformation du gouvernement:
  • Il entretient la confusion entre sortie du marché et arrêt des échanges avec les autres pays, parlant de « France isolée », alors que personne ne demande une telle chose et que les échanges préexistaient au marché (« il n’est pas possible, sur le plan opérationnel, de revenir à une France isolée») ; il alimente ainsi la menace sur la sécurité d’approvisionnement et les risques de coupure (la France dans le noir), relayée par différents ministres ;
  • Il invalide ensuite le « Le retour au système des années 1990, fondé sur des échanges transfrontaliers d’électricité de gré à gré entre États ou grands opérateurs
    nationaux
    », ce que personne ne demande non plus.
  • Il écarte à juste titre la « duplication du dispositif ibérique », sur des arguments que nous partageons et que nous avions développés.
  • Il ne retient finalement qu’une solution possible:  celle, portée par les instances françaises et européennes consistant à maintenir la concurrence dans la production comme dans la fourniture, en comptant sur le développement de contrats de long terme pour stabiliser les prix aux consommateurs.

Le débat se résumerait donc, pour RTE comme pour le Gouvernement et l’UE, au poids relatif des contrats de long terme publics et privés.

Pour appuyer sa démonstration, RTE indique qu’un retour aux mécanismes d’avant marché engendrerait un « énorme surcoût ». Or ce surcoût a été dans un rapport d’avril 2022 [1] par l’association des régulateurs européens de l’énergie (ACER) à un peu plus d’1 milliard d’euros par an à l’échelle européenne. Cela représente un gain d’environ 200 millions d’euros par an pour la France[2], soit moins de 0,5% des coûts annuels du système électrique français. Ce chiffre est également à rapprocher, par exemple, des estimations pour les finances publiques du coût des mesures d’urgence pour palier l’envolée des prix de marché, de l’ordre de 50 Md€ en 3 ans en France, soit environ 250 ans de « gains » imputables au marché ! Et à ces aides publiques s’ajoutent les surfacturations très importantes des consommateurs[3].

A aucun moment RTE n’évoque la proposition que nous portons, qui leur a été pourtant communiquée. Largement soutenue par des salariés des Industries Electriques et Gazières mais également de certains ministères qui connaissent très bien le sujet, par des associations de consommateurs, des élus, et même des salariés de fournisseurs alternatifs, cette proposition consiste à revenir à un opérateur public national restant intégré aux mécanismes d’échange européens. Elle n’a jamais reçu de critique sérieuse sur le plan technico-économique. Elle ne remet pas en cause l’optimisation des échanges, elle est plus simple, plus robuste, plus juste, plus efficace et moins couteuse que toute solution basée sur un marché.

Politiquement, elle n’impose aucune remise en cause des mécanismes d’échange européens[4] mais simplement une dérogation pour la France (et tous les pays qui le souhaiteraient) afin de sortir de la concurrence ce bien essentiel qu’est l’électricité. Elle impliquerait la suppression des fournisseurs (dont personne ne perçoit l’utilité), la propriété publique des moyens de production (hormis éventuellement les plus petits) et en parallèle, un coup d’arrêt à la participation d’entreprises françaises comme EDF à la privatisation de l’électricité des autres pays.

En résumant le débat au poids des contrats publics et privés de long terme, RTE ignore tous les problèmes qu’engendre une telle solution, qui restent à ce jour sans réponse malgré une analyse critique détaillée qui leur a été envoyée. Outre les graves problèmes technico-économiques posés par ce cadre de concurrence, RTE renonce à toute péréquation tarifaire (équité de traitement), à un prix basé sur le coût de production. Il ne remet pas en cause la concurrence des fournisseurs, etc.

RTE sait parfaitement que « sortie du marché » ne rime pas avec déconnexion du réseau européen. Elle sait parfaitement les lacunes indépassables du marché, auxquelles se heurte la réforme européenne en cours de discussion. Elle sait aussi qu’une proposition alternative existe, jamais critiquée sur le plan technico-économique.

Il est regrettable que la Direction de RTE mette ainsi la compétence de ses équipes au service d’un but politique contraire à l’intérêt général : celui de défendre coûte que coûte un marché indéfendable, quitte à saper toute chance de remettre sur pied rapidement un système si essentiel aux enjeux climatiques et environnementaux.

Le Haut Conseil pour le Climat dresse un bilan sévère des politiques publiques, très largement insuffisantes au regard de la situation. Le rapport Pisany- Mahfouz alerte sur la nécessité d’investissements massifs, nécessairement publics. Il est plus que temps de changer de braquet et de partir enfin des objectifs et des réalités physiques de l’électricité pour mettre en place le système le plus efficace et juste possible, au lieu de s’enferrer dans une concurrence délétère sur la base d’arguments malhonnêtes et de refuser le débat.

Avant de présenter le marché comme la seule solution possible, nous demandons à RTE de mener une étude sérieuse, comme il le fait sur d’autres sujets. Une telle étude, essentielle, implique de :

  1. De faire un retour d’expérience de plus de 20 ans de mise en concurrence du secteur électrique, notamment en termes de gains et de coûts (mais également d’équité de traitement, d’impact économique, d’impact sur les investissements, etc.)
  2. De présenter toutes les options sur la table, en les évaluant dans le détail et sans parti pris.

Dans un tel cadre, nous sommes à disposition de RTE pour répondre à leurs critiques éventuelles sur notre proposition.

(contact : anne.debregeas@gmail.com – 06 83 55 10 47)

[1] P22: « Market coupling enables the efficient use of interconnectors and renders more than one billion Euros of benefits per year”

[2] En considérant que la France représente environ 20% de la production électrique européenne, sans plus de précision. Il ne s’agit donc que d’un ordre de grandeur.

[3] La CLEEE, association de grands consommateurs, évaluait à peine un tiers la part des augmentations de facture prise en charge par l’Etat sur son périmètre.

[4] Même si un opérateur public européen organiserait mieux les échanges que le marché, point qui fait consensus parmi les spécialistes de l’optimisation.