L’accord du Conseil européen sur le marché de l’électricité ne régule pas le prix au consommateur

25 octobre 2023

Les récentes déclarations d’EDF ont au moins le mérite de calmer l’enthousiasme du gouvernement suit à l’accord conclu par les Vingt-Sept sur la réforme du marché de l’électricité, largement relayé par les « experts », relais fidèles de la parole officielle.

Alors que se répandait l’idée que les difficultés étaient derrière nous et que l’accord allait permettre aux consommateurs de « bénéficier de prix stables, proches des coûts de production de l’électricité en France »[1] selon les propos d’Emmanuel Macron, EDF se vante de vendre aux enchères son nucléaire historique à 90 €/MWh pour 2027 et 2028, bien loin du coût de production estimé autour de 60 €/MWh par la CRE récemment. EDF revendique une approche « marché », indiquant que ce prix est très compétitif, en comparaison par exemple des 230 euros le MWh auxquels ont dû se fournir les entreprises l’an dernier, hors transport et taxes et avant aides d’Etat éventuelles.

EDF précise aussi les limites des CFD sur le nucléaire : « Le texte adopté ouvre la possibilité d’utiliser ces contrats entre les États et les producteurs mais ne définit pas les modalités selon lesquelles les revenus ainsi générés pourront revenir aux clients. »[2]

Effectivement, cet accord des 27 ne garantit en rien des prix basés sur le coût de production pour les consommateurs, alors que le Gouvernement entretient à dessein la confusion entre prix régulé pour le producteur et pour le consommateur.

Rien ne dit que, même si la position du Conseil l’emportait sur celle du Parlement européen lors du trilogue, les consommateurs seraient mieux protégés qu’aujourd’hui contre une flambée des prix. Au contraire, la réforme européenne sur la table, qui ne semble pas remise en cause par l’accord récent du Conseil, acte la fin des tarifs réglementés de vente pour tous les consommateurs finaux, y compris les ménages résidentiels, sauf très rares exceptions, et ce point n’est jamais relevé.

Elle acte également le maintien d’une part non déterminée de l’électricité vendue à prix de marché (donc en fonction des cours des combustibles fossiles) ou via des contrats long terme entre acteurs privés (PPA), eux-mêmes guidés par les prix de marché et parfaitement incompatibles avec une équité de traitement entre usagers. Ces contrats long terme organisent une course tout à fait inégale pour un accès réservé aux sites de production d’électricité à faible coût (voir notre critique détaillée ici).

Elle permet certes des « contrats pour différence » (CFD) garantissant une rémunération pour certains producteurs, mais pas pour toutes les filières (notamment pas pour l’hydraulique pilotable) et sans les rendre obligatoires. Quant aux CFD « obtenus » pour le nucléaire, d’une part ils ont été refusés par le Parlement européen pour l’instant, d’autre part on ne sait pas sur quelle part de la production nucléaire ils porteront ni quelles en seront les modalités – et notamment les niveaux de prix retenus, comme le pointe EDF.

Surtout, on ne sait pas comment ils seront répercutés aux consommateurs, sachant que l’UE insiste pour que cela ne constitue pas une « distorsion de concurrence » sur le marché intérieur. Autrement dit, même si les centrales nucléaires françaises sont moins chères que les autres moyens de production, les prix ne doivent pas être « mieux-disants par rapport au prix de l’électricité industrielle allemande »[3]. L’Allemagne conditionne donc l’autorisation des CFD pour le nucléaire au fait que ses industriels puissent y accéder dans les mêmes conditions que les industriels Français. On se retrouve donc dans la situation pour le moins curieuse au chaque État membre définit sa stratégie énergétique… mais où la facture est supposée être mise en commun, tout en continuant d’affirmer que les consommateurs français bénéficieront du coût de production national ! Il faut donc clarifier les choses : à qui profite le bas coût du nucléaire français historique ? Aux consommateurs français ou aux industriels européens ? Et dans ce cas, que reste-t-il aux citoyens français de cette énergie à bas coûts ? Qui subventionne qui ? D’ailleurs, l’association de consommateurs CLCV étrille cet accord en indiquant qu’il « ne règle pas la question du prix et ne protège pas les consommateurs »[4]

Actuellement, nous avons des CFD pour les renouvelables, l’ARENH pour le nucléaire, des Tarifs Réglementés de Vente pour les plus petits consommateurs. Nous ne voyons rien dans la réforme qui indique que nous allons vers plus de régulation. Ce marché a conduit à la crise que nous connaissons malgré ces régulations imparfaites. En cas de nouvelle flambée des prix du gaz, même si la réforme telle que prévue par le Conseil est appliquée, rien n’indique que nous serions mieux protégés, au contraire.

Il devient urgent de prévenir les citoyens de ce risque majeur et de les informer que le principe d’égalité a définitivement disparu des objectifs du « service public » de l’électricité, bien qu’explicitement reconnu dans l’Article L121-1 du Code de l’Energie : « Matérialisant le droit de tous à l’électricité, produit de première nécessité, le service public de l’électricité est géré dans le respect des principes d’égalité […]. »

Il semble également nécessaire de leur rappeler qu’une solution opérationnelle à court terme existe, reposant sur un monopole public national intégré aux mécanismes d’échange européens tel que détaillé ici. Cette proposition n’a fait l’objet d’aucune critique sérieuse à ce jour.

Le seul argument restant aux défenseurs du marché consiste à répéter qu’elle remettrait en cause la sécurité d’approvisionnement, ce qui relève soit d’une incompréhension profonde du système, soit d’un mensonge éhonté, hélas largement relayé. La sécurité d’approvisionnement repose en effet sur les interconnexions physiques qui ne doivent rien au marché intérieur de l’électricité. Les premières lignes transfrontalières françaises datent des années 1920, et l’Union pour la Coordination de la Production et du Transport d’électricité (UCPTE) a été créé en 1951 pour gérer l’interconnexion déjà existante des pays européens, un demi-siècle avant la mise en place des marchés de l’électricité[5]. « Sortir des marchés » signifie renoncer à une libéralisation délétère, non « se déconnecter » pour « revenir à une France isolée », ni même revenir sur l’optimisation des échanges transfrontaliers.

[1] Discours de Belfort, 10/02/2022

[2] Les Echos – Accord européen, régulation du nucléaire, prix pour les industriels : EDF livre ses vérités

[3] Comme le rappelle Michael Bloss, eurodéputé Allemand proche du gouvernement

[4] Réforme du marché de l’électricité : l’accord entre les gouvernements ne règle pas la question du prix et ne protège pas les consommateurs (clcv.org)

[5] The 50 Year Success Story – Evolution of a european interconnected grid, ENTOSE, 2009

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